Cher parents,
Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vus si pleins de courage que, je n'en doute pas, vous voudrez bien encore le garder, ne serait-ce-que par amour pour moi.
Vous ne pouvez savoir ce que, moralement, j'ai souffert dans ma cellule, de ne plus vous voir, de ne plus sentir sur moi votre tendre sollicitude que de loin , pendant ces quatre-vingt-sept jours, votre amour m'a manqué plus que vos colis et, souvent, je vous ai demandé de me pardonner tout le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait. Vous ne pouvez douter de ce que je vous aime aujourd'hui, car avant, je vous aimais par routine plutôt mais, maintenant, je comprends tout ce que vous avez fait pour moi.
Je crois être arrivé à l'amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être, après la guerre, un camarade parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué; j'espère qu'il ne faillira point à cette mission désormais sacrée.
Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement mes plus proches parents et amis, dites leur toute ma confiance en la France éternelle. embrassez très fort mes grands-parents, mes oncles, mes tantes et cousins, Henriette. Dites à Monsieur le curé que je pense aussi particulièrement à lui et aux siens. Je remercie Monseigneur du grand honneur qu'il m'a fait, honneur dont, je crois, je me suis montré digne. Je salue aussi en tombant mes camarades de lycée. A ce propos, Hennemay me doit un paquet de cigarettes, Jacquin, mon livre sur les hommes préhistoriques. Rendez le Comte de Monte-Cristo à Emeurgeon, 3 chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice Andrey, de La Maltournée, 40 gr de tabac que je lui dois.
Je lègue ma petite biliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon cher Papa, mes collections à ma chère Maman, mais qu'elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d'épée gaulois.
Je meurs pour ma patrie, je veux une France libre et des Français heureux, non pas une France orgueilleuse et première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnète. Que les Français soient heureux, voilà l'essentiel. Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur.
Pour moi, ne vous faites pas de souci, je garde mon courage et ma belle humeur jusqu'au bout et je chanterai Sambre et Meuse parce que c'est toi, ma chère petite maman, qui me l'a appris.
Avec Pierre, soyez sévères et tendres. Vérifiez son travail et forcez-le à travailler. N'admettez pas de négligence. il doit se montrer digne de moi. Sur les "trois petits nègres", il en reste un, il doit réussir.
Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée, mais c'est parce que j'ai un petit crayon. Je n'ai pas peur de la mort. J'ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t'en supplie, prie, songe que si je meurs, c'est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable pour moi? Je meurs volontairement pour ma Patrie. Nous nous retrouverons bientôt tous les quatre, bientôt au ciel. Qu'est-ce que cent ans?
Maman, rappelle toi:
Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs
Qui, après leur mort, auront des successeurs
Adieu, la mort m'appelle, je ne veux ni bandeau, ni être attaché.
Je vous embrasse tous. C'est dur, quand même, de mourir.
Un condamné à mort de 16 ans.
H. Fertet
Excusez les fautes d'orthographe. pas le temps de relire.
Expéditeur:
Monsieur Henri Fertet
Au ciel, près de Dieu.
Arrété chez ses parents pour faits de résistance le 3 juillet 1943, Henri Fertet est emprisonné par les nazis, torturé, puis jugé et condamné à mort. Il est fusillé le 26 septembre 1943, à l'âge de seize ans. J'ai reproduit plus haut, intégralement, sa dernière lettre. Parce que je n'oublie pas ce que ce môme et des centaines d'autres ont donné et ont souffert pour que je puisse écrire librement ces lignes sur ce blog, dans cette France que j'aime autant que lui.